"La mort du toro dans l'arène" par Sophie MALAKIAN VERNEUIL

 

Sophie Malakian est vétérinaire, après ses études à Maisons-Alfort. Elle a vécu pendant 18 ans en Guadeloupe où elle a exercé la médecine et la chirurgie des animaux de compagnie ainsi que des animaux de rente, au sein de sa Clinique. Elle y a également créé un Haras et un centre équestre dans lequel elle a élevé chevaux et poneys, et qui proposait cours, promenades et compétitions.

Revenue en France Métropolitaine depuis deux ans, elle exerce maintenant l'ostéopathie cognitive et la dentisterie équine ostéopathique.

"Mon expérience de vétérinaire, m'a permis d'en apprendre beaucoup sur les animaux et leurs comportements. Ma passion pour les animaux depuis mon plus jeune âge, m'a donné une vision non anthropomorphique de l'animal et de sa psychologie, et une vision pragmatique de sa place dans notre société, ce qui ne m'a pas empêché de garder un grand amour et un grand respect pour la cause animale dont je reste une fervente et sincère défenseur".

 

Espagne, JEREZ, 16 MAI 2015

ARENE

 

Il est entré. Noir. Lourd. Dangereux. Rapide. La force faite animal. Il court sans savoir vers quoi, vers qui. Un mouvement, dans le coin de son œil, lui indique que le danger vient de là, et il charge, brave, fait face. Une masse de muscles, des cornes, la bête est dangereuse. Cette force et cette agressivité, en font une sorte de minotaure, dont on pourrait croire un instant qu’il est invincible. Il s’arrête, et tente de comprendre de quel danger il s’agit. Où ? Quoi ? Dans son lexique des dangers, rien ne ressemble à ça. Mais dans sa bravoure, son instinct sait déjà qu’il va devoir combattre un ennemi inconnu jusque là. Une sorte d’animal très coloré, dont les ailes roses et jaunes virevoltent et l’agacent. C’est sûr, c’est là qu’il faut frapper. Il baisse la tête, et s’élance, les cornes prêtes à broyer du rose. Arrivé de l’autre coté, il sait qu’il a réussi, il l’a encorné ce volatile, il a senti son odeur, fait voler ses ailes. Il se retourne pour contempler sa proie. Que diable ! Pas de traces de sang, pas de signaux de détresse, pas de cri de souffrance ni d’agonie. « Cet animal est vraiment surprenant ! » Ne se laissant pas décourager par l’étrangeté de ce combat, la bête s’élance de nouveau, plus vite, plus déterminée à en finir avec cette chimère. Et encore, et encore. Chaque fois c’est le même scénario. Le taureau se rapproche, commence à connaître cette odeur. Un mélange de sueur animale, et d’autre chose, inconnu ; mais au fil de ce corps à corps, il finit par reconnaître cette odeur là, celle qui le galvanise. L’odeur de la peur, l’odeur de la proie qui sent le danger. Plus rien n’existe autour, il n’entend plus rien du bruit de la foule qui réclame le sang, acclame la bravoure, et se délecte de la violence. Plus rien d’autre que cette odeur, cet adversaire se résume à cette émotion, car c’est la seule chose qui lui est familière ici : la peur. Les charges se transforment en combat rapprochés, mélange de sueur et de tissus qui le frôlent, et volent, mais jamais rien au bout des cornes.

 

La bête s’épuise à chercher la chair, mais à chaque fois elle ne trouve que du tissu. Dans ce monde inconnu, une seule certitude, une seule option : combattre, jusqu’à la mort. Il est né avec cette connaissance. Il porte en lui toute la bravoure et la force de l’Andalousie, il est né pour combattre. Ses cornes pointues le prouvent, ses muscles saillants, le prouvent. Son ardeur au combat, fait partie de son existence. Il ne peut en être autrement.

 

Ca fait maintenant de longues minutes que dure ce combat, les forces de l’animal commencent à baisser, et toujours pas une goutte de sang en face. La bête s’est arrêtée, essoufflée, elle sait que sa force ne suffira pas. Elle regarde encore cet adversaire qu’elle ne comprend pas. Il lui tourne le dos et s’en va en marchant lentement, fièrement. L’odeur familière a disparue, faisant place à une nouvelle odeur, inconnue : celle de la vanité. Et voilà qu’il revient, il lui fait face. Il a troqué ses ailes contre deux cornes pointues et oranges qu’il brandit vers l’animal, signe que le combat doit reprendre. « Cette fois-ci je vais l’écrabouiller » se dit la bête en chargeant de nouveau l’homme. Mais au bout de sa course folle, il n’y a plus de doute, l’adversaire est plus fort, toujours aussi insaisissable. La morsure des pointes plantées dans sa chair, en atteste. C’est le premier sang versé, avec son cortège d’adrénaline, qui lui donne la place de proie et non plus de prédateur. Encore la poussière, encore la sueur, encore le sang rouge comme le tissu, et la chaleur écrasante du soleil qui hier encore caressait son cuir. Soudain, dans cet enfer, un éclair de lumière. Dans une dernière tentative d’encorner son adversaire, la bête a aperçu cet éclair du coin de l’œil, et c’est la fin. Au fond de ses entrailles, l’éclair est venu se planter, le mal est rentré dans sa chair, et la déchiquète de l’intérieur. Son cœur qui bat la chamade vient s’y déchirer à chaque battement, à chaque mouvement. Un genou dans le sable, puis deux. La tête se repose enfin. Pendant que lentement l’esprit vaillant quitte ce monde, on découpe une oreille de cette carcasse, qui, il y a quelques minutes encore, était une bête pleine de vigueur et de force. Le public applaudit le courage du toréador, et célèbre la vaillance de ce taureau qui a combattu jusqu’au bout. Il quitte cette terre sous les applaudissements d’une foule venue observer cette brutale nature, et ce courage qu’elle n’a pas. L’existence de ce taureau qui prend fin sous nos yeux, nous donne une leçon. L’arène s’est transformée en théâtre de la vie. Ceux qui refusent de la voir ainsi, useront leur salive dans un inutile plaidoyer contre ce qu’ils nommeront « la cruauté humaine », croyant défendre une cause qu’il ne comprennent pas, une nature dont ils ignorent tout.

 

 

Dans ce monde où s’affrontent les idées, où les écolos combattent les afficionados, où ceux qui se prennent pour les défenseurs de la cause animale s’élèvent avec force contre ces pratiques et cette tradition, on oublie de regarder l’animal pour ce qu’il est. Ces amoureux de « la nature », ne regardent pas la nature elle même, mais l’image qu’il veulent en voir. Ils ne regardent pas l’animal, mais un prolongement d’eux même, imaginant que respecter un animal, c’est le traiter comme un être humain. Ils s’imaginent dans l’arène, comme au temps des gladiateurs, avec leur vision d’un monde sans violence, désarmés face à un adversaire redoutable. Le combat entre le taureau et le toréador, ne se résume pas à une comparaison entre les armes, il ne se résume pas non plus à la justice, ou à la violence de la situation, ni même à l’utilité des traditions dans notre monde. La sauvagerie est animale, le combat côtoie partout la vie animale. La nature originale n’existe plus, elle se transforme à chaque instant, elle est la vie qui évolue. Dans ce monde où, tout finit par être façonné par l’homme à son image,  le mot « nature » devient un prétexte pour se donner bonne conscience. Nous avons perdu le sens de notre vie, trop occupés à chercher le confort, la reconnaissance, et l’immortalité. Le taureau de combat, lui, est la nature à l’état brute. Il est programmé pour vivre, se reproduire,  combattre, et mourir. C’est sa nature à lui, et sa vie y est conforme. Combattre dans une arène n’est certes pas « naturel », mais pour le taureau, cette mort là, aura plus de sens, que celle d’un taureau exécuté dans un abattoir ; même si la morale se satisfait d’avantage du coté aseptisé de la mort des animaux dans ces temples de la consommation alimentaire.

 

Aujourd’hui on mange la viande comme n’importe quel autre aliment, pour son goût, pour ses qualités nutritives, pour ses habitudes. Mais il est fini le temps où l’on avalait l’animal chassé puis tué. Le temps où la viande n’était pas un aliment, mais un moyen de survie, un moyen de continuer à vivre. Aujourd’hui on élève puis on abat, puis on déguste. Aucune de ces morts n’a de sens. Nous sommes programmés pour manger de la viande, mais nous nous sommes détournés de l’activité majeure de nos ancêtres : la survie. Nos prédateurs sont d’une nature différente. La société, ses stress, la course à l’argent comme seul garant de notre survie, ont fait de nous des êtres à contre courant de notre nature. Nous trouvons sans cesse des artefacts nous permettant de compenser les incohérences de nos vies. La nature telle qu’on se la représente, n’est plus de ce monde ci. Combien de temps reste-t-il encore à ces taureaux de combat, témoin d’un temps où un morceau de viande voulait dire un morceau d’animal que l’on a tué, un temps où cela se calculait en temps de survie avant la prochaine chasse fructueuse.

 

Messieurs les avocats de la défense des droits de l’animal, vous vous trompez de cause, d’accusé, et de procès. Comment dénoncer l’existence des corridas, et accepter celle des abattoirs ? Votre quête a perdu tout sens, elle repose sur un point de vue intellectuel qui ignore la trivialité de votre propre existence. Tel un dictateur qui sait qu’il ne pourra convaincre la majorité, et impose sa vision du monde par la force. S’il était en votre pouvoir d’imposer le végétarisme au monde entier, vous le feriez sans doute, ignorant que vous signeriez ainsi la disparition de toutes les espèces animales que l’homme consomme.Pour que les taureaux de combat vivent, il faut tuer des taureaux de combat dans les arènes. Ainsi va la logique du monde. La mort des quelques centaines de taureaux courageux choisis pour affronter les toréadors, assure la survie de milliers d’autre, élevés sur les terres et sous le soleil de l’Andalousie, et d’ailleurs. N’en déplaise aux militants de la cause animale, l’homme d’aujourd’hui est garant de la survie des animaux. La nature ne peut plus se suffire à elle même, et ignorer le monde dans lequel elle vit. L’adaptation à l’environnement a depuis toujours fait évoluer les espèces. L’homme a toujours été un prédateur, et il l’est toujours. Il y a de nombreuses façons de tuer les animaux. Dans un abattoir, dans  un arène, dans la forêt… et dans les tribunaux ! Car finalement, les plus grands assassins d’animaux ne seraient-ils pas ceux qui veulent empêcher qu’on les tue ? Certains refusent de voir la partie de l’homme qui le pousse à chasser, à combattre et à tuer, et prétendent que notre cerveau reptilien, siège de nos émotions primitives, n’a pas le droit de s’exprimer, alors qu’il conditionne notre survie.

Cerveau

Souhaitons que ce monde de traditions trouve sa place dans nos sociétés en pleine évolution, à l’image de notre indispensable cerveau reptilien qui coexiste avec le cerveau limbique et le cortex. Le combat de l’homme contre l’animal, est vieux comme l’humanité. Au même titre que le combat entre animaux dans la chaine alimentaire. Ce combat donne un sens à la vie des animaux dans leur environnement. L’homme, en tant qu‘animal, n’échappe pas aux lois qui régissent ce règne, malgré ses capacités intellectuelles et émotionnelles. Empêchez le d’exprimer son animalité de prédateur, et vous en ferez un psychopathe qui s’en prendra à ses congénères à la place. Si l’on désire voir l’animal par sa nature, il faut, également accepter de regarder l’homme sous ce coté là.

 

Sur le sable de l’arène, ce sont donné rendez vous la nature et la civilisation, la trivialité et le raffinement, le passé et l’avenir.

La mort du taureau est finalement un hymne à la vie dans toutes ses contradictions.

 

 

 

 

                 

 

Date de dernière mise à jour : Lun 05 juil 2021

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